François Belpaire, peintre et graveur La mémoire du Paysage

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Voilà plus de dix ans que nous nous sommes installés à Godmanchester, à l’extrême pointe sud-ouest du Québec, dans notre maison bleue au milieu des champs. Ça m’a pris plusieurs mois avant que je ne me risque à faire un premier croquis du paysage environnant. C’est tellement beau. J’étais intimidé. Comment ajouter quelque chose à tant de beauté, si notre rôle comme artiste est de montrer à voir la beauté du monde ?

Pour quelque temps, je me suis donc contenté de pratiquer la contemplation. .

Comme disait mon maître, le peintre Seymour Segal: « François, c’est pas une maison de campagne qu’il s’est acheté, c’est une fenêtre! »

 

Vue de ma fenêtre (détail).
encre et aquarelle, 2001

La fenêtre

Mes premiers croquis représentent, en effet, la vue de la grande fenêtre qui donne dans notre cuisine: un océan de champs à perte de vue, voilé sous la neige (c’était en février), borné au loin de quelques îlots de cèdres ou d’érables. Un coup de pinceau horizontal, trois arabesques pour évoquer la cime des arbres, une large bande d’aquarelle délavée pour marquer l’ombre sur la neige. Ici, on sent que le temps arrête sa course folle pour prendre un moment de repos.

 

Plus tard, j’ai refait le même paysage à l’eau-forte, en griffonnant directement sur la plaque de cuivre enduite de vernis. À travers la neige perçaient encore les tiges de maïs, témoins de la récolte de l’an passé, et je me suis amusé à les graver une à une, pour former un tapis de velours côtelé qui fuit vers l’horizon. L’encre sépia donne à la gravure un petit air suranné comme un souvenir de famille.



Première neige sur le champ de maïs de Hugh McColm.
Eau-forte, 22,5 x 30 cm, 2002.


Puis je me suis risqué un peu plus loin, sur le chemin qui fait le « tour du bloc » autour des terres qui forment notre horizon. La neige qui voile les arbres au loin. Le vieux pin, sans doute centenaire, qui borde le chemin Seigneurial, et qui a tant jauni ces dernières années que je crains bien pour sa survie. L’ancienne érablière, abattue depuis au moins vingt ans, mais dont la repousse rappelle l’ancienne vigueur.

 


Il neigeait un peu sur le chemin Connaught.
Eau-forte, 2002


Le grand pin du chemin Seigneurial.
Eau-forte, 2002


La fardoche a repoussé sur l’anciennne érablière.
Eau-forte, 2002

 

L’histoire du paysage



Les cèdres envahissent le pâturage.
Eau-forte, 2003

À cette époque, j’ai eu l’occasion de faire la connaissance d’André Bouchard, botaniste et spécialiste de l’histoire du paysage naturel du Suroît. Il m’a raconté comment les petits bois de cèdres (Thuya occidentalis), qui ne sont pas naturellement originaires de ce coin de pays, se sont multipliés par ici sur les pâturages mal entretenus, car les vaches broutent tout, sauf les cèdres, et ceux-ci finissent par envahir tout l’espace.
J’apprenais aussi comment ces grands chênes solitaires que l’on retrouve souvent au milieu d’un champ, et que les cultivateurs contournent respectueusement avec leurs grosses machines, marquent également un ancien pâturage, où ils servaient à donner de l’ombre aux bêtes.

C’est là que j’ai pris conscience à quel point ma série d’estampes était en fait un voyage à la recherche du temps perdu et comment chaque coin de paysage recèle toute une histoire, qu’il faut savoir décoder.



Un chêne solitaire au milieu du champ.
Eau-forte, 2002

Je me suis donc mis plus systématiquement à la recherche de ces « traces de mémoire »
dans le paysage du Suroît.
 



Le petit cimetière de Sparrow Corner.
Eau-forte, 2003

Bien sûr, il y a les touchants petits cimetières éparpillés au bord des chemins, et particulièrement ce minuscule mémorial privé devant chez nous, près de la « Sparrow Curve » où l’on a pieusement réinstallé les pierres tombales des ancêtres qui ont donné leur nom à ce lieu-dit au début du XIXème siècle.

Le vieux cimetière d’Athelstan est un des plus romantiques de la région.

Un coin du cimetière d’Athelstan
Eau-forte, 2003

 



Arsène Charlebois s’établissait ici vers 1924.
Eau-forte, 2002

Il y a la maison même que nous habitons, dont nous apprenons qu’Arsène Charlebois s’installait ici, en provenance de Fort Covington, N.Y. vers 1924, comme le prouvent les anciennes copies du Progrès de Valleyfield adressées à son nom, retrouvées sous le vieux linoléum de la cuisine

 


Il y a de petites cabanes à sucre oubliées, aperçues au hasard d’une promenade, envahies de ronces et d’herbes folles.



Une petite cabane oubliée.
Eau-forte, 2002

Plusieurs autres érablières sont encore actives.

Le temps des sucres.
Eau-forte, 2003

Battues par le vent,
de vieilles granges tiennent encore debout.

Elle tient encore debout.
Eau-forte, 2004

 

 

On découvre de vieux pommiers en fleurs, perdus dans ce qui semble être des forêts vierges, et qui rappellent le temps où chaque ferme était autonome et produisait toute la gamme des produits de la terre pour sa subsistance

Autrefois, il y avait ici un verger.
Eau-forte, 2002

Au début, c’était une terre de roches.
Eau-forte, 2003

En bordure des champs, des amas de roches témoignent du patient travail d’érochage qui se poursuit depuis presque deux siècles.
(Le renard y a installé son terrier.)


Et chaque année en octobre, l’été des indiens resplendit de toutes ses couleurs!

L’été des indiens.
Eau-forte, 2002

 

La technique de l’eau-forte

Voici quelques informations techniques pour les intéressés: Chacune des images est gravée sur une plaque de cuivre de 9 par 12 pouces (22,5 x 30 cm) par le procédé de l’eau-forte. Pour ce faire, la plaque est d’abord couverte d’un vernis protecteur, dans lequel on trace légèrement le dessin à l’aide d’une pointe. La plaque est alors plongée dans un bain d’acide nitrique, qui creuse un sillon là où elle est dénudée. Les surfaces teintées sont produites par le procédé d’aquatinte, en protégeant la plaque avec de fines goutelettes de résine fondue, autour desquelles l’acide produit un réseau de rainures microscopiques, plus ou moins profondes selon la durée de l’immersion. Des retouches peuvent être apportées en gravant directement dans le métal avec des outils appropriés (pointe-sèche, burin, etc.).

Pour imprimer chaque copie, on enduit la plaque d’encre puis on l’essuie en surface de manière à ne laisser d’encre que dans les creux. Chaque image est tirée à la main sur du papier au Ph neutre (du papier vélin Arches, dans le cas présent) à l’aide d’une presse. Les images de cette série sont tirées à quinze exemplaires numérotés et signés, après quoi la plaque est rendue inutilisable pour garantir l’exclusivité des oeuvres.