Ce n’est pourtant pas parce qu’il n’a pas plu depuis trois semaines, ni par manque d’événements. Ce serait plutôt le contraire: il s’en est passé tellement qu’on n’a pas le temps de les écrire.
On veut du foin !L’hiver s’en vient, l’herbe repousse de moins en moins dans le pré. Bientôt, un blanc manteau couvrira la vaste campagne… Ça a beau être romantique, il faut prévoir la pitance des nombreuses bêtes que nous avons maintenant en notre dépendance (et pas seulement en dépendance affective!) En comptant de 3 et 10 livres de foin par jour et par bête (cf. Storey’s guide…), ça nous prend entre 30 et 100 balles de 50 livres pour passer l’hiver. Sans compter la paille pour la litière. Notre récolte personnelle, celle qui servait de montagne russe à Esméralda, est en partie mangée et ce qui reste s’est transformé d’abord en litière, puis fatalement en fumier. Sic transit gloria mundi.
Nous sommes donc partis à la recherche d’un fournisseur, parmi les nombreux éleveurs de bovins des environs. J’étais optimiste, puisque l’an dernier encore la région a envoyé des tonnes de foin dans l’Ouest pour dépanner les éleveurs des Prairies qui vont de sécheresse en sécheresse. Illusion! Comme la cigale qui avait passé l’été à chanter, nous n’avons rencontré que des refus. « Le foin est rare, on en a juste ce qu’il faut pour nos bêtes , allez voir untel ou un autre, peut-être que… mais c’est pas sûr que vous en trouverez… » Nous avons fait toutes les fermes laitières du Rang des Six jusqu’à St-Stanislas-de-Kostka, sans succès. Une certaine panique nous gagnait. C’est sûr que nos épluchures de cuisine ne suffiront pas à compenser. Allait-il falloir déjà sacrifier les bêtes et abandonner nos rêves de gentleman/woman farmers ?
À tout hasard, j’appelle notre voisin Rankin, qui ne fait plus d’élevage depuis avant notre arrivée dans le coin, au cas où il connaîtrait quelqu’un. Il lui en reste plein, un peu sec mais encore bon m’assure-t-il, ainsi que de la paille dont il ne demande qu’à se débarrasser. Ouf!
Ça m’a pris cinq voyages avec ma fourgonnette remplie à raz bord pour transférer une cinquantaine de balles dans le garage. Ça sentait bon !
Les quartiers d’hiverJusqu’ici, tant nos ruminants que nos gallinacées vivaient heureux dans l’abri ouvert qui se trouve en arrière de la forge. Quand la bise sera venue (pour continuer à emprunter à Monsieur de la Fontaine), ils auront besoin d’un meilleur abri. Eh! que cette Maison Bleue est pleine de ressources! Encore une fois, un endroit tout désigné existait pour aménager les quartiers d’hiver de notre troupeau. L’ancienne forge, qui communique directement avec l’abri, offre un bon espace, construit en planches doublées et donc suffisamment isolé pour les besoins. Il fallait seulement y aménager des séparations pour délimiter une étable, un poulailler et un espace de travail pour les gardiens.
Avec l’aide experte de Nicolas, de Simon et de Marie-Hélène, un astucieux système de barrières de planches permet maintenant une gestion rationnelle de notre cheptel. Des portillons permettent d’ouvrir ou de fermer différents passages, selon qu’on veut permettre aux uns ou aux autres d’avoir libre accès à l’extérieur ou de demeurer confinés à l’abri.
La construction des quartiers d’hiver
« Monsieur »Dans cinq mois, ce sera le printemps: y avez-vous pensé? Les agneaux et les chevreaux nouveaux-nés gambaderont dans le pré parsemé de pissenlits! À condition qu’il y ait des chevreaux et des agneaux, ce qui ne se fait pas par génération spontanée, comme Pasteur l’a bien démontré. On a donc fait un peu de planification des naissances.
La preuve
Une atmosphère de partouze
D’abord, nous avons accueilli Monsieur, un bélier pur race Dorset prêté par Monsieur Mimeault pour quelques semaines, le temps que s’écoulent deux cycles complets chez Matante Robéa. Aussitôt admis dans l’enclos, Monsieur s’énerve, grogne comme un cochon en léchant la nuque de la brebis à grands coups de langue. Robéa doit être en chaleur, nous confirme Mimeault, pour que le bélier s’intéresse à ce point. Comme de fait, quelques minutes plus tard, il la monte (voir preuve documentaire ci-dessus). Dans les heures qui suivent, il règne une atmosphère de partouze dans l’enclos: Ti-Brin essaye de monter Esméralda qui se cabre comme un cabri, Monsieur s’essaye sur Ti-Brin puis se montre assidu surtout avec Robéa. Ça durera par intermittence jusqu’au lendemain. Puis plus rien. Monsieur et Robéa se tiennent proches, comme un vieux couple. S’ils pouvaient, ils se tiendraient tendrement par la main. Mais c’est tout. Jusqu’au week-end dernier, alors que Robéa devait être en chaleur à nouveau, mais tout est resté calme, malgré la magnifique pleine lune avec éclipse et tout et tout. Je comprends donc que la chose est faite et que nous aurons des agnelets en avril prochain.
MollyL’autre soir, nous étions en ville (la grande ville de Montréal, j’entends bien) pour assister à un récital de chansons d’Edith Piaf à la Butte St-Jacques, vu que c’était mon Nicolas qui y tenait la contrebasse. J’y rencontre Nicole R., attablée non loin avec une copine. On se salue, on jase, puis la copine revient pour nous apprendre que sa fille a une chèvre à donner, car celle-ci prend trop de place dans l’écurie: la voulons-nous? Et pourquoi pas? Quand il y en a pour quatre, il y en a pour cinq?
Après entente, nous allons à St-Lin avec la fameuse caisse-à-chèvre que vous connaissez déjà, pour ramener Molly chez nous. C’est une petite chèvre courte sur pattes et un peu obèse, avec de belles cornes recourbées jusqu’à la nuque et un air frondeur. Elle me fait tout de suite penser à certaines délinquantes un peu narquoises qu’on a connues en institution: baveuses mais sympa, dans le fond, et pas si mauvaises que ça. La séparation d’avec ses maîtres est un peu triste et on me fait promettre que nous ne la mangerons pas.
Tout au long du voyage, le chien Tommy surveille la bête en collant un oeil face au trou d’aération; à l’intérieur de la caisse, Molly doit sans doute avoir l’oeil exactement vis-à-vis le même trou, par l’intérieur. Et tout le long du voyage Tom nous jappe ça: « Hey! il y a une bête là-dedans, vous ne m’entendez pas? »
Molly. (Au loin , de g. à dr.: Monsieur, Ti-Brin, Matante Robéa et Esméralda.)L’intégration de Molly n’est pas évidente: elle est habituée à vivre avec les humains et avec les chevaux, mais pas à prendre sa place dans un troupeau de ses semblables. Comme ces enfants qui ont toujours vécu avec des adultes, elle n’arrive pas à se sentir à l’aise dans la bousculade du groupe. Elle s’isole un peu, tout en suivant les autres de loin, elle ne sait pas trop comment défendre sa part de moulée, elle cherche à se réfugier près de nous mais sans trop se laisser toucher… Bref, elle a besoin d’un peu de temps pour s’acclimater. La première fois que je la lâche dans l’enclos électrique, elle saute la clôture d’un bond, malgré son embonpoint. Heureusement ceci ne se répète pas et nous ne serons pas obligés de sortir le piquet de Line et la chaîne, ni de lui mettre une entrave aux pattes.
Le séjour chez le boucNous avons trouvé un bouc disponible pour Esméralda chez une jeune voisine, étudiante en techniques agricoles à St-Hyacinthe. Elle préfère que notre chèvre aille chez elle, plutôt que l’inverse, ce qui est sans doute aussi bien avec la présence de Monsieur et le processus d’adaptation de Molly. Whisky est un jeune bouc de race moitié naine, moitié alpine, avec des petites cornes qui pointent diaboliquement vers l’avant. Il arrive à mi-hauteur de la grande Esméralda: parviendra-t-il à la monter? Sa compagne, une vraie chèvre naine, partage également son enclos.
Sur le coup, on note plutôt des comportements d’affrontement et de défi comme c’est l’habitude quand une nouvelle bête se joint au troupeau. Aucun signe d’attirance sexuelle. Ceux-ci ne se manifestent que lorsque la femelle est en chaleur, soit pour un peu plus de 24 heures à toutes les trois semaines. Nous attendons donc les événements, sans pouvoir les observer de près. Alors pour les chevreaux, rien n’est encore assuré.
Exit Ti-BrinNous avons conduit Ti-Brin à St-Louis-de-Gonzague, où se trouve l’abattoir autorisé de la région. Il devait se douter de quelque chose, car il ne voulait pas entrer dans la caisse-à-chèvre, malgré la généreuse portion de grain qui l’y attendait. À 87 livres sur pied, il nous donnera quelque 35 livres de gigot, de côtelettes et de shish-kébab. On vous en donnera des nouvelles.
Était-ce le renard?Tant qu’à être dans les nouvelles tristes, il y a aussi celle-ci: poupoule verte (celle qu’on avait marquée d’un ruban vert à la patte) n’est pas rentrée l’autre soir, ni les soirs suivants. C’était notre plus aventureuse, au point qu’il a fallu lui rogner une aile, du temps où on essayait encore de les garder enfermées à l’intérieur d’une clôture. C’est peut-être ce qui lui a été fatal. Elle avait l’habitude de se promener seule aussi, sans la protection du groupe comme les autres.
Est-ce le renard? Ça fait pourtant longtemps qu’on ne l’a pas aperçu par-ici. Il faudra que j’aille faire un tour du côté de la tanière qu’il occupe quand il est de passage dans cette partie de son territoire, pour voir s’il y a des traces de plumes rousses.
Il reste donc trois poules, qui nous pondent fidèlement leurs trois oeufs tous les jours.
Quoi de neuf chez les humains?Ma petite soeur Christine me reproche de ne parler que des bêtes dans ces chroniques. C’est sûr qu’il y a aussi deux adorables petites-filles qui viennent ensoleiller notre domaine de temps en temps. Laurence, chez Julie, a maintenant quinze mois et c’est une habituée. Elle aime beaucoup les poules (« plou, plou »), les moutons (« bouh! ») et un peu moins le chien (« hin, hin »). Delphine, un mois, chez Véronique, est encore trop petite pour partager ces intérêts, mais elle découvre avidement le monde avec ses petits yeux vifs. Philippe (?) est attendu d’une heure à l’autre chez Nicolas et Geneviève. Ça fera un beau party de Noël à la Maison Bleue cette année! Et bien-sûr il y a notre grande Daphné qui adore venir chez sa mamie, caresser les chats et les poules, dessiner de grands portraits de la Maison Bleue et ramasser les oeufs frais pondus.
France s’occupe à hivériser la maison. Quant à votre serviteur, il s’active à préparer son vernissage annuel à son atelier sur l’avenue Laval. Non, il n’y aura pas de portrait d’Esméralda. Il n’y a pas que ça dans la vie!