Ce matin, il pleuvait. Je me suis dit : chic, je vais pouvoir écrire une deuxième chronique pour informer les amis de l’évolution d’Esméralda. Le temps de déjeuner, de regarder un peu les oiseaux, et voilà qu’il fait re-beau! Pas le temps d’écrire donc, puisqu’il y a tant à faire dehors. Pas une minute à perdre! Un orage a menacé en début d’après-midi, mais il a passé au loin. Il a bien fallu attendre après le coucher du soleil, qui fut magnifique, pour m’asseoir à mon clavier.
Esméralda va bien. Elle s’habitue à nous suivre quand on l’emmène au pieu ou de retour à son enclos. La meilleure façon de la convaincre, c’est de s’y mettre à plusieurs: comme c’est un animal grégaire, si on se transforme en troupeau, elle suivra. Alors France, Tom le chien, moi-même et toute autre personne présente sont invités à se déplacer en groupe dans la direction recherchée, et Esmée nous suit avec empressement.
Elle se comporte assez bien lorsqu’on l’attache à son piquet dans le pré, mais une fois de temps en temps elle pète les plombs, soit parce qu’on la laisse seule, ou parce qu’elle a peur de la tondeuse: elle prend un grand élan et se retrouve bien vite au bout de sa chaîne. Comme une chaîne est toujours aussi solide que son maillon le plus faible, à chaque fois c’est le mousqueton qui saute; nous en sommes au cinquième mousqueton, que nous avons expérimentés dans tous les modèles et toutes les grosseurs. En fait, c’est certainement le piquet en forme de tire-bouchon, cadeau de Line, qui est la source du problème: s’il s’enracinait moins solidement dans le sol, on retrouverait la bête un peu plus loin, mais avec le matériel intact; or si le piquet plie, il ne lâche pas et c’est l’attache qui cède.
Hier après-midi cependant, par égard pour sa sensibilité, nous avons laissé Esméralda à l’abri dans son enclos. Hier fut une journée fort occupée, première série d’abattage de nos gros nonos de poulets à viande. Nous les avons eus tout poussins, résultats d’une expérience d’incubation au collège où ma douce enseignait naguère. La technicienne de laboratoire était fort soulagée de trouver un débouché pour ces encombrants rejetons, mais il fallait les prendre tels quels, sans savoir à l’avance ni leur nombre ni leur variété. À poussin donné on ne regarde pas la bride! Or ces poulets à viande deviennent rapidement tellement obèses qu’ils risquent de mourir d’arrêt cardiaque à la première occasion.
Faut dire, pour leur défense, qu’ils sont en train de devenir plus alertes. Depuis qu’on les a déplacés dans une basse-cour plus spacieuse, avec des graviers naturels et des pissenlits à picorer, et du vrai grain à la place de la moulée d’engraissage, ils ont gagné beaucoup en vitalité. Puis nous avons introduit quatre jeunes poulettes pondeuses (des High-Line rouges, pour les connaisseurs parmi vous). À côté des monstres de productivité viandeuse que sont nos poulets à chair, ce sont de vraies ballerines. À l’âge de 20 semaines, elles pèsent à peine le quart de nos gros poulets qui en on dix. Leur arrivée a fait tout un effet sur les coqs, qui n’avaient jusque là manifesté aucun intérêt pour la chose. C’était à qui bécoterait le mieux sa poulette de gros becs d’amour dans la nuque. Ça n’a pas été plus loin cependant, et la basse-cour est revenue à l’ordre, quoique avec un petit air guilleret qui dure encore. Mais il était grand temps de procéder à l’abattage.
Donc hier fut journée de boucherie. Avec l’aide de Simon, qui avait déjà participé une fois à ce genre d’événement, et de notre indispensable « Storey’s guide to raising poultry », nous nous sommes armés de la hache, de la cuve à échauder, de la table à plumer, des couteaux à éviscérer et de tout le courage nécessaire pour abattre nos six premières volailles.
Quelques statistiques: il y avait cinq coqs (parce que plus énormes) et une poule (parce que celle-là faisait déjà particulièrement pitié). Leurs poids après éviscération, prêts à congeler, va de 5,5 lbs (pour la poule) à 9,5 lbs pour le plus gros coq. La moyenne est de 7,83 lbs. avec un écart type 1,40. La médiane, pour ceux qui préfèrent, est de 8.25 lbs. Par extrapolation, et si la tendance se maintient, avec les huit autres encore vivants, ça donnera quelque 92 livres de poulet, pour lesquels France a calculé un prix de revient, capitalisation non comprise, d’envron 1$ la livre. Pas mal ? (Non, ce ne sont pas des dindes.) Quant à la qualité, je vous en reparlerai quand nous y aurons goûté. Leur foies, façon BBQ, nous ont fait un excellent souper ce soir.
Donc Esméralda est restée à l’intérieur aujourd’hui, alors que nous pataugions dans le sang et les entrailles. Nous avons beaucoup appris, et notamment, que ce n’est pas si facile que ça de trancher un cou d’un seul coup de hache, fut-ce un cou de poulet. On comprend mieux que Monsieur Guillotin fut un bienfaiteur de l’humanité.
Je vous tiendrai au courant de nos autres expériences existentielles dès la prochaine pluie.