Voici l’hiver revenu. La neige transforme en océan les champs autour de la Maison Bleue. C’est comme ça que nous avons découvert la maison, il y a presque quatre ans déjà, quand nous sommes tombés en amour avec ce pays.
Un congélateur bien rempli !
Notre arche de Noé a repris sa configuration d’hiver. Les bêtes pour lesquelles nous n’avons pas de place à l’abri pendant la saison froide sont empilées dans les congélateurs : la brebis et les agneaux, les poulets, les canards et les autres volailles. On ne manquera pas de protéines cet hiver!
Les animaux qui ont été épargnés sont réunis dans l’ancienne forge d’Arsène Charlebois, réaménagée en étable et poulailler pour la saison froide, où ils pourront mieux partager et conserver leur chaleur: les chèvres Esméralda et Molly, le bouc Coco et les sept poules pondeuses.
En novembre, nous avons réuni le bouc et les chèvres, comme prévu. Ça a donné lieu à de belles scènes de séduction, de cabrioles, de fuites et de poursuites. Nous n’avons pas été témoins de tout, mais nous avons de bonnes raisons d’espérer qu’il y aura des chevreaux pour la mi-avril. Maintenant les trois vivent ensemble comme frère et soeurs, gentiment.Les poules ont commencé à muer et les oeufs se font plus rares.
La routine d’hiver est installée: matin et soir, distribution d’eau un peu tiède, de grain et de foin. Fermeture des portes et, s’il fait trop froid, un petit coup de lampe chauffante pour couper l’humidité.
Les oiseaux d’hiver sont revenus aux mangeoires, mais à ras du sol, ce sont les chats qui occupent tout le terrain, sans concurrence.
Au début il y a eu Tigresse, la petite chatte rousse née de parents inconnus sous un balcon de la rue Mentana, en plein centre ville. Une amie de France avait été obligée de sacrifier une bonne boîte de thon pour la convaincre de sortir de là et d’embarquer dans une caisse pour se faire expédier à Godmanchester.
Tigresse/Tigrou, chat de garage
idth= »95% » cellspacing= »0″ cellpadding= »0″ bgcolor= »#DDDDDD »>
Un coup rendue, Tigresse venait chercher sa pitance au garage et errait dans les bâtiments à sa guise, comme un bon chat de campagne. Son apprivoisement fut long, mais elle avait fini par accepter quelques caresses avant qu’on ne s’aperçoive que cette chatte était un matou qu’il a fallu rebaptiser Tigrou.
À l’époque nous avions encore de vraies jobs en ville et nous ne venions à la campagne que les fins de semaine. On lui laissait de la nourriture pour plusieurs jours et quand l’hiver fut venu, je lui ai bricolé un abreuvoir chauffant à l’aide d’une de ces résistances électriques qu’on utilise pour empêcher le gel des tuyaux. Je crois bien que le chat s’empressait de vider l’eau, pour pouvoir se lover au chaud dans le bol de l’abreuvoir. Tigrou a partagé notre vie jusqu’au printemps suivant, avant de faire comme tout matou de campagne qui se respecte: partir à l’aventure pour ne plus revenir.
La place étant libre, on vit apparaître un nouveau minou. Cette fois c’était un vrai chat de campagne, au poil noirâtre chamarré de touffes rousses et rebelles. Il semblait avoir séjourné dans toutes les poubelles du voisinage (et le voisin le plus proche, d’un côté comme de l’autre, est à 500 mètres). Il passait régulièrement, en suivant les perches de la clôture de cèdre, pour profiter de la nourriture que France ne manquait pas de lui laisser. (En sacs de 20 kg, « Pour chats de grange », pas chers à la coop agricole.) C’était une bête tellement hirsute et dépenaillée que je l’ai appelée Huckleberry Finn, en mémoire du célèbre petit hobo de campagne, le copain de Tom Sawyer.
Reconnaissant, il a fini par s’installer à demeure dans le coin de garage qui devait devenir définitivement la chatterie, bien à l’abri sous les combles au-dessus de l’ancienne laiterie. Cette fois encore, ça nous a pris un bon moment avant de découvrir que ce chat était une chatte. À l’automne, alors qu’on vit son bedon s’arrondir pour nous produire une première portée de chatons, il a fallu réviser nos perceptions et la rebaptiser Huckie.
Huckie (de dos) élève deux portées
Depuis plus de deux ans, Huckie est notre reine chatte attitrée. Comme elle a eu la teigne, on a même réussi à l’amener au sous-sol pour lui donner des bains d’Hibitane. Elle a maintenant le poil soyeux et lustré et elle règne sur une nombreuse progéniture et sur une cour assidue mais variable de mâles de passage.Tout ce petit monde vit dehors, une bonne demi-douzaine en tout, dans le garage et dans les granges, à la manière rurale, vu que les humains de cette maison sont allergiques aux chats.
J’avoue que nous avons un peu perdu le compte des différentes portées de Huckie. La première fois, il y a eu deux chatons dont l’un est trouvé mort, bouffé par on ne sait qui, et l’autre a disparu. Au printemps suivant, une nouvelle portée, dont nous est restée une petite femelle qui allait bientôt se reproduire à son tour. À l’automne, naissance de Caramel, Cappuccino et Fifi ; seul Cappuccino s’installe à demeure avant de prendre la clef des champs à son tour.
Minougris, dite Lucycat
Au mois de juin suivant, Huckie a une portée de cinq chatons, toujours sous les combles au garage; elle en abandonne deux et transporte les autres ailleurs, pour réapparaître seule et légère, avec un petit air innocent comme si jamais rien ne s’était passé.
À l’automne, elle élève à elle seule deux portées: la sienne et celle de sa fille, dont plusieurs membres habitent toujours la chatterie: Cappuccino II, Monminou, une petite chatte noire à poil ras et Minougris dite Lucycat parce que c’est la préférée de Lucie. À cela s’ajoute Le Papa, le grand mâle tigneux qui est sans doute le géniteur de la plupart des autres et qui fait peur à tout le monde quand on leur apporte à manger. C’est dur, la vie de chat de garage !
Tout ce petit monde félin s’intéresse évidemment beaucoup aux oiseaux qui se rassemblent par dizaines autour des mangeoires, tout juste sous notre fenêtre de salle à manger: les nombreux chardonnerets, les geais bleus, les moineaux et les vachers, ainsi que ceux qui reviennent fidèlement dès la première neige: les mésanges, le cardinal, les pics, les bruants de la Baie d’Hudson, les sizerins flammés, les roselins, etc. Heureusement, la chasse n’est pas souvent fructueuse, et la plupart des oiseaux y échappent. De temps à autres, c’est l’épervier qui vient faire son inspection, et alors tout le monde disparaît, y compris les chats.
Le cardinal et le moinillon
Les chats s’intéressent beaucoup aussi à l’abreuvoir d’hiver des oiseaux, qui est installé tout près, au sommet d’un piquet. Une ampoule électrique allumée en permanence sous la cuvette empêche l’eau de geler; les oiseaux vont y boire, mais aussi s’y ébattre à grands coups d’ailes en envoyant de l’eau partout, même quand il gèle à pierre fendre.On dit que l’eau est inodore, mais mes observations m’ont convaincu que les animaux sentent l’eau à distance: bien vite, les chats ont découvert qu’en montant au poteau, ils trouvaient de l’eau à boire, mais aussi un endroit chaud pour s’installer. Ils ont commencé par attendre que la cuvette soit vide pour s’y asseoir à tour de rôle, mais récemment ils s’installaient directement avec leur cul dans l’eau. J’aime mieux ne pas imaginer comment ils se sentaient par la suite, quand ils descendaient pour retourner au vent glacial. Pour leur bien donc, ainsi que pour celui des oiseaux qui avaient un peu perdu l’usage de leur abreuvoir, j’ai dû installer une collerette anti-chats au poteau. C’est ça l’évolution dans la nature: une espèce développe un avantage, l’autre doit inventer une parade correspondante, et ainsi de suite, ça n’en finit plus.
Noël s’en vient !
C’est bientôt Noël, on va s’occuper un peu des humains aussi. Tout la famille réunie, nous attendons au moins dix-sept personnes cette année. Belle occasion de puiser dans nos réserves de victuailles, où nous avons l’embarras du choix: agneau, dinde sauvage, pintade ou canard? Cette année ce sera une entrée à l’agneau, suivie du canard aux cerises et au porto.