Vous croyez que c’est pépère, la vie de retraité ? Détrompez-vous. Les événements se succèdent sans relâche et on n’a plus une minute qui ne soit pas à soi. Pas une minute à perdre, donc.
D’abord, il y a eu les suites de nos expériences reproductives. La survivante des trois agneaux de Matante Robéa, la petite brebis Maki, a bien prospéré. Comme on ne peut plus compter sur la vieille Robéa pour la reproduction, on confiera ce rôle à Maki. Nous nous sommes donc procuré un jeune bélier, qui lui servira de « sire » (comme disent les anglais) avant de passer à la boucherie à l’approche de Noël.
Esméralda par ailleurs nous aura tenus en haleine jusqu’au bout, sans résultat tangible; elle n’attendait pas de chevreaux. La stratégie sera donc la même pour les chèvres: nous avons acheté un joli petit bouc de deux mois, Coco, qui sera en âge « d’honorer » les chèvres (comme disent les français) vers la même époque, avant d’être transformé en méchoui.
Tout le problème consistera à contrôler les relations prémaritales de tout ce jeune monde, de façon à ce que les naissances arrivent cette fois après la fin des grands froids, compte tenu que la gestation est de cinq mois… (faites le compte.) Un autre beau problème de clôtures en perspective, mais attendons que l’adolescence des jeunes mâles se pointe, d’ici quelques semaines au plus tard !
Voilà donc six bêtes à faire vivre en harmonie dans l’enclos des ruminants. Chaque nouvel arrivant doit être isolé quelques jours avant que le troupeau ne l’adopte sans trop l’ostraciser. Les petits doivent avoir accès à un refuge qui leur est réservé, où ils disposent d’un provision de grains en permanence.
Coco et Maki sont de bons amis
Il faut contrôler les abus de cornes de Molly pour permettre aux autres de manger en paix. On a décidé de mettre des élastiques aux cornes en question, il paraît qu’à la longue elles tomberont… Mais ça doit être à la très longue, car ça fait deux mois et les cornes tiennent toujours. Il a fallu défaire et refaire une clôture pour rentrer un camion de sable en vue d’assécher la partie de l’enclos qui se transforme en marécage à la fonte des neiges. Sans compter la gestion des approches amoureuses, déjà mentionnée. Alors mon activité principale de gentleman farmer est toujours la construction et la reconstruction de barrières et de clôtures.
De l’autre côté du domaine, du côté du garage, c’est la basse-cour qui est en expansion.
Comme c’est maintenant presque une tradition, nous avons hérité de vingt-neuf poussins, produits des expériences parascolaires d’incubation du Collège St-Paul. La technicienne de laboratoire nous est très reconnaissante de la soulager de la corvée de s’en débarrasser.
La semaine suivante, nous allons prendre livraison d’une commande bigarrée à la Coop agricole: quatre poussins canetons, quatre pondeuses neuves, deux bébés pintades, deux dindonneaux sauvages tout juste éclos.
Le projet d’y joindre quelques lapins est à l’étude pour l’instant: nous sommes à la retraite, après tout !
Et puis tout redevient simple, en fin de compte : à mesure que les bêtes s’habituent à la présence des autres, le sens du troupeau — ou de la basse-cour, c’est selon — s’installe et chacun vit et laisse vivre en se poussaillant un peu. Le temps est beau, l’herbe pousse et j’ai pu installer ma clôture électrique, de sorte que les bêtes peuvent aller brouter à leur guise autour de l’enclos d’hiver. Mais pour assurer la rotation du pâturage, il faut déplacer la clôture à chaque semaine…
Chronique vétérinaire (suite)
Coco le bouc a des croûtes sur la peau. On l’a traité d’abord pour la gale (par injection), mais ça semble plutôt être la teigne, selon la vétérinaire qui est venue constater. Il faut lui administrer un shampooing médicamenté deux fois par semaine. Heureusement qu’on a de grands éviers à lessive au sous-sol, idéal pour donner un bain au chien ou à un (petit) bouc. Heureusement aussi que le mal ne s’est pas (encore) répandu dans le troupeau. Je nous vois mal donner un bain à Matante Robéa, avec sa toison de quatre pouces d’épaisseur. Heureusement enfin que c’est un mal qui ne survit pas aux bons rayons de soleil de l’été, et l’été s’en vient, c’est sûr maintenant.
La femme qui plantait des arbres
Pendant ce temps, France continue son oeuvre de subversion écologique. Suivant l’exemple d’Elzéar Bouffier, elle enfouit des glands de Quercus macrocarpa dans les terrains inoccupés, des tiges de saules à chatons sur les berges fraîchement dégarnies du ruisseau Bretteur, des pousses de tilleuls d’Amérique, de mélèzes ou de saules pleureurs aussi loin que porte notre horizon. Nous projetons aussi de transplanter quelques pieds de fougères à l’autruche dans un marécage voisin, de façon à assurer notre provision de têtes de violons pour les printemps à venir.